1953

 LE GRAND PRIX DE BORDEAUX DU 3 MAI 1953 SUR LE CIRCUIT DES QUINCONCES 

Affiche du GP 1953 - archives ACSO

Dès la fin de l’année 1952, l’ACSO demande l’inscription d’un Grand Prix de Bordeaux au calendrier international de la Fédération. Pour l’organisation d’une épreuve réservée aux monoplaces de type Formule 2, à l’image du règlement en vigueur dans le cadre du championnat du monde. Sur la base de l’organisation réussie de l’épreuve de 1951, la FIA accepte de réserver le dimanche 3 mai à la course Bordelaise. Ce jour-là, il s’agira donc de la seule épreuve du calendrier !

 

LA PREPARATION

À l’heure d’aborder l’édition 1953 du Grand Prix de Bordeaux, le président Louis Baillot d’Estivaux souhaite mettre en avant « l’admirable travail qui est poursuivi par la commission sportive, véritable équipe de volontaires de choc que préside avec autorité et intelligence Chrestien de Lihus. Qu’il me permette de le remercier personnellement pour le soulagement qu’il apporte à ma tâche quotidienne. Les membres de cette commission sportive ainsi que tous ceux qui les aident dans leurs fonctions mettent au service de l’Automobile-Club leur dévouement, leur travail et leurs connaissances afin de doter Bordeaux de manifestations automobiles importantes qui feront rayonner très loin le nom de notre cité » (AG ACSO, 11 février 1953). L’ACSO peut se remettre à la tâche et prend une décision majeure, en accord avec le MCB. 

 

Plan du circuit du GP 1953 - archives ACSO

Le même tracé est conservé, mais le sens de rotation des véhicules est inversé ! Désormais, les pilotes vont disputer la course dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Plusieurs raisons ont amené à ce changement. Tout d’abord, d’un point de vue pilotage, cela permet d’améliorer la nature du virage devant la Bourse Maritime et par conséquent la vitesse moyenne des monoplaces qui bénéficient d’un virage ouvert à sa sortie et donc plus rapide. Par ailleurs, les stands de ravitaillement seront désormais installés face aux tribunes des officiels. Enfin, de nouveaux gradins peuvent être réalisés sur le large trottoir qui longe la Place des Quinconces. La décision est également prise de baisser légèrement le prix des places, pour maintenir l’aspect populaire. La billetterie sera ouverte le lundi 20 avril.

Devant le succès rencontré auprès du public mais encore plus auprès des concurrents, il est également décidé de conserver comme course de support une épreuve réservée aux voitures de Tourisme amélioré. Le MCB de son côté procède à une sorte de synthèse des deux éditions précédentes, en proposant une épreuve pour les motos de 500 cm3 et une pour les sidecars.
Au niveau des dotations, grâce aux nombreux partenaires, la prime offerte au vainqueur du Grand Prix sera de 400.000 francs, plus 10.000 francs à son mécanicien principal désigné. Les vainqueurs de chacune des catégories des épreuves de Tourisme et de moto recevront eux 50.000 francs, à l’exception de la course sprint des sidecars du dimanche (20.000 francs pour avoir remporté l’épreuve de 20 tours).

Dès la mi-avril, les négociations de l’ACSO avec les différents constructeurs et pilotes sont quasiment finalisées. Le jeu des annonces officielles peut alors reprendre dans les colonnes de Sud Ouest comme deux ans plus tôt. Pour les inaugurer, en guise de clin d’œil et pour rendre hommage à celui qui maintient une présence Française de haut niveau dans la compétition automobile, l’écurie Gordini est annoncée. Représentée par quatre monoplaces, l’annonce de la participation de Maurice Trintignant, André Simon, Harry Schell et Jean Behra est ainsi faite.
Amédée Gordini s’était personnellement rendu en Gironde le 7 avril pour reprendre connaissance du circuit et apprendre le changement de sens. Rapidement, le vainqueur du récent Grand Prix de Syracuse, Emmanuel de Graffenried, est également officialisé au volant de sa nouvelle Maserati.
Vainqueur du Grand Prix de 1951, et donc en quelque sorte tenant du titre, Louis Rosier est annoncé partant au volant de sa Ferrari 500 privée de couleur bleue, l’une des six spécialement produites par la Scuderia pour être vendues. Rosier n’avait pu terminer les formalités douanières pour libérer sa nouvelle Ferrari que quelques jours avant la course de Pau. Dans le même temps, on entend plus en plus des rumeurs transalpines sur les bords de la Garonne…
En attendant, l’engagement du Belge Johnny Claes sur une étonnante Connaught est annoncé, sous les couleurs jaunes de l’Ecurie Belge. Par ailleurs, un jeune Anglais encore relativement peu connu sur le continent, Stirling Moss, doit pour sa part venir courir sur une Cooper officielle à moteur Alta.
Dernier constructeur Britannique présent, HWM revient sur la Place des Quinconces avec trois nouvelles monoplaces pour l’expérimenté Yves Giraud-Cabantous et les jeunes Lance Macklin et Peter Collins.
Après le temps des rumeurs, le rêve devient réalité pour l’ACSO le 24 avril. Enzo Ferrari lui-même l’annonce : « Jamais nous n’avons officiellement couru à Bordeaux. Ce sont nos débuts. Il faut gagner ! » (Sud Ouest, 25 avril 1953) La Scuderia Ferrari sera en effet présente avec ses pilotes officiels Alberto Ascari, Nino Farina et Luigi Villoresi. Les voitures rouges au cheval cabré dominent la scène Européenne depuis de long mois, et cette présence assure un plateau de premier ordre.
Une annonce qui fait presque passer sous silence l’engagement de monoplaces Osca pour le pilote traditionnel de cette écurie, Elie Bayol, et le Monégasque Louis Chiron, qui vient de signer une belle deuxième place à Syracuse.  Malheureusement, le forfait de Jean Behra, insuffisamment remis d’une blessure au bras consécutive à son accident de Pau, est également annoncé. Reste à savoir qui va le remplacer, et on annonce un étranger de grande classe…

En attendant, il faut bien réaliser le programme officiel, imprimé comme de coutume quelques jours avant l’épreuve et vendu aux spectateurs les jours de course. Dès lors, un « pilote X » est indiqué avec le numéro 24, une sorte de tradition ! Ce programme présente en outre une dizaine d’illustrations croquées par un jeune dessinateur Bordelais. Présentant des scènes absurdes ou cocasses de l’immersion de la course automobile au cœur de la cité Bordelaise, ces dessins sont tous réussis et permettent d’entrevoir le talent d’un artiste par ailleurs publié de manière occasionnelle dans Sud Ouest Dimanche. Un artiste nommé Sempé !
Le jeudi 30 avril voit l’annonce du remplaçant de Behra. Et quel remplaçant ! Juan Manuel Fangio a en effet été exceptionnellement libéré par Maserati pour disputer cette course avec Gordini. Par amitié pour Amédée Gordini, en difficulté après la fin de son partenariat avec Simca, l’Argentin a souhaité disputer une dernière course au volant de cette monoplace avec laquelle il a débuté en Europe lors du Grand Prix de l’ACF de 1948 disputé à Reims. Un accord scellé au téléphone le mercredi 29 avril à 11h45, à la suite des négociations menées directement par le Président de l’ACSO. Dans le livre réalisé par Christian Huet, « Gordini : un sorcier, une équipe », Fangio revient très simplement sur cette amitié : « Quelle que soit la carrière, quelles que soient les autres joies ou les autres peines, on n’oublie jamais lorsqu’on aime la compétition, la première course que l’on dispute avec une voiture de Grand Prix ».
Le Grand Prix de Bordeaux 1953 devient ainsi une course au plateau exceptionnel, regroupant rien moins que les trois Champions du monde sacrés dans l’histoire de la Formule 1 : Farina (1950), Fangio (1951) et Ascari (1952). Pour bien replacer le niveau de ces trois champions, il faudra attendre Mike Hawthorn en… 1958 pour voir un autre pilote devenir Champion du monde. Et ce alors que Farina a déjà raccroché, que Fangio (également champion en 1954, 1955, 1956 et 1957) vient de faire de même et qu’Ascari (de nouveau sacré au terme de la saison 1953) est mort depuis 1955…


Le jour des premiers essais, disputés dans la soirée du vendredi 1er mai, trois changements de dernière minute sont enregistrés par l’ACSO alors que flottent les drapeaux à ses couleurs sur les colonnes rostrales.
Contrairement à ce qu’il espérait, Peter Collins ne s’est pas bien rétablit de sa participation éprouvante aux Mille Miglia le week-end précédent, et il est remplacé par le Prince Bira. Troisième en 1951, Peter Whitehead se voit offrir lui aussi un volant in extremis, celui de la Cooper officielle. Moss a en effet considéré que la monoplace n’était pas suffisamment au point pour prendre le départ. Enfin, chez Gordini, et malgré sa volonté et ses efforts, André Simon choisit la voie de la sagesse. Malade depuis plusieurs mois, il préfère poursuivre son traitement et laisser son baquet. Deux pilotes ont été amenés à Bordeaux par Amédée Gordini pour le suppléer le cas échéant : André Guelfi et Roberto Mieres. Malgré le talent de « Dédé la sardine », vainqueur le 15 février à Agadir, c’est finalement le pilote Argentin qui est désigné pour prendre le volant.

Cette première séance confirme d’ailleurs les espoirs de l’ACSO de rendre le circuit plus rapide : pas moins de huit pilotes battent le temps de la pole position réalisée par Rosier en 1951 ! Finalement, c’est Villoresi qui signe la meilleure performance, sa Ferrari effectuant le tour de piste en 1’23’’6 à presque 105 km/h de moyenne, devant ses deux coéquipiers de la Scuderia. Le ton est donné. Toutefois, cette domination sur un tour doit être relativisée pour de nombreux observateurs qui attendent une lutte entre Ferrari et Gordini, arbitrée par la Maserati du Suisse de Graffenried. Parmi eux Albert Divo, toujours présent à Bordeaux, qui attire l’attention sur les performances des Gordini qui devraient être favorisées par leur faible poids. De plus, Juan Manuel Fangio a seulement réalisé quelques tours de prise en main au volant de la monoplace de Trintignant, sa propre monture spécialement préparée n’arrivant que le samedi matin. Pour le Directeur de course, Maurice Henry, le suspens est total et le plateau sublime, unique : « Bordeaux a réussi un miracle. Le propre du miracle est d’être exceptionnel. Je ne crois pas que cette pléiade de coureurs et de voitures puisse être réunie une nouvelle fois cette année en Europe. » (Sud Ouest, 2 mai 1953)

 LES COURSES ANNEXES

Les 15.000 spectateurs présents pour cette première soirée ont pu assister à la démonstration de Georges Monneret, avec un temps de 1’35’’8. La Gilera du champion Français s’est donc montrée la plus rapide devant celle de l’Italien Pagani, alors que la Norton de John Grace devance la moto du champion local, Jean-Pierre Bayle. Les favoris sont bien là, seul manque à l’appel Pierre Monneret qui a finalement annulé sa participation, trop fatigué par un virus passager. Il est à noter que les sidecars ont roulé en même temps que les 500cm3

 

Concernant les Tourisme amélioré, de nombreux pilotes originaires de la région veulent montrer leur combativité dans les garages et sur la piste, l’Ecurie Atlantique étant évidemment présente en force avec seize voitures engagées. Ils pourront rivaliser le lendemain dans un format totalement inédit. En effet, du fait des nombreuses épreuves et d’une programmation contrainte pour ne pas trop perturber la vie Bordelaise, une seule course aura lieu. Toutes les voitures y prendront part, et deux classements seront édités selon la cylindrée et donc la catégorie. Dix-neuf places ont été accordées pour cette course, selon le classement issu des temps réalisés lors de cette séance du vendredi. Cette session est donc une véritable séance de qualification. La Simca de Lucien Barthe y signe le meilleur temps devant Amy, Calès, Lauga, Mazouin, Armagnac…

Les nuages et un vent du nord accueillent fraichement à 14h15 les spectateurs pour le départ de la course de ces Tourisme amélioré, première épreuve au programme en ce samedi 3 mai. La lutte est féroce dès le baisser du drapeau, et rapidement trois voitures creusent un écart significatif en tête. Il s’agit de celles de Barthe (n°4), Calès (n°16 avec une Simca Spéciale aux allures de monoplace) et Amy (n°20). Les essais de la veille sont donc confortés. Au 6ème tour, Calès rencontre des ennuis mécaniques et laisse les deux autres pilotes en découdre pour la victoire tout en gérant déjà les dépassements des premiers retardataires. Alors que quelques abandons sont signalés, comme de Bruchard ou Mazouin, Barthe rate le virage de sortie de la Place des Quinconces au 12ème tour, s’appuie sur les bottes de paille pour reprendre sa trajectoire mais doit laisser Amy prendre le commandement avec sa Peugeot. Dans le cadre d’un superbe duel qui passionne les spectateurs dans les tribunes et sur les pelouses, Barthe reprend la tête deux tours plus tard et réussit à s’échapper pour signer une victoire méritée au volant de sa Simca spécialement carrossée par les Bordelais Ferrer et Lacoste. Pour conforter cette victoire de l’un de ses représentants, toutes les coupes de cette épreuve sont remportées par des pilotes de l’Ecurie Atlantique.

 

Après ces 45 minutes dédiées à l’automobile, le MCB prend la main. Pour fêter cette journée, le club avait d’ailleurs organisé un grand rassemblement dès 8h30, sur la Place Pey-Berland. Un véritable défilé a ensuite eu lieu dans de nombreuses artères de la ville pour rejoindre les Allées de Tourny, aux abords du circuit, en fin de matinée.

La course des 500 cm3 est lancée à 15h40. Un groupe se détache rapidement et dès le 5ème tour, la victoire ne semble pouvoir échapper à un quintet constitué de Bayle, Burgraff, Guit, Grace et Monneret. Seul un favori manque à l’appel, Nello Pagani qui a déjà dû s’arrêter à son stand pour changer de bougie. Si Burgraff a été en tête, Monneret le dépasse au 10ème tour en signant le meilleur tour en course. Dans le cadre d’une véritable course par élimination, Bayle doit faire un passage aux stands pour tenter de réparer son embrayage au 17ème tour grâce à l’emploi d’un seau d’eau en guise de refroidissement, suivi peu après par Grace. Les deux hommes doivent rapidement renoncer.

Les positions sont dès lors quelque peu figées, les seuls évènements étant les abandons qui rythment la course. Avec près d’un tour d’avance sur son dauphin, Monneret sur Gilera triomphe sous les acclamations du public.

Pour les spectateurs, la course des sidecars doit permettre de retrouver de l’excitation sur la piste. De toute manière, la technique si acrobatique du pilotage de ces machines est un spectacle qui captive naturellement l’attention de tous. Au plan sportif, René Betemps (associé à Georges Burgraff) s’échappe rapidement, Murit étant le seul à pouvoir le suivre. Et même mieux, puisque les deux hommes se disputent la tête de la course à plusieurs reprises. Entre le 11ème et le 19ème tour, c’est un véritable chassé-croisé qui rend difficile la tâche des chronométreurs et des officiels.

Puis Betemps se retrouve soudainement en délicatesse avec son sidecar, perd plusieurs secondes et doit même marquer un court arrêt à son stand. Dès lors, Jean Murit et son coéquipier André Emo peuvent se permettre de gérer leur course lors des derniers tours et de faire retomber leur adrénaline, avant de passer en vainqueurs sous le drapeau à damier.

Cette journée a été un superbe prélude pour l’alléchant plateau du Grand Prix.

Les conditions climatiques ont clairement changé en ce dimanche, et de nombreux rayons de soleil réchauffent l’atmosphère et subliment l’architecture du Port de la Lune. Plutôt que de se rendre sur le Bassin d’Arcachon pour le retour des beaux jours, les Bordelais décident en grande partie de rester en ville pour assister au spectacle mécanique qui démarre par une nouvelle épreuve, courte, pour les sidecars. Jean Murit y confirme son triomphe de la veille, Betemps étant victime d’ennuis mécaniques à la fin des quinze tours de course. Décidément !

La place est ensuite laissée aux monoplaces pour ce qui doit constituer le bouquet final.

 

LE GRAND PRIX


Après la présentation officielle des concurrents, les voitures sont poussées par les mécaniciens sur leur emplacement de la grille de départ, alors que les pilotes mettent leur casque, un équipement rendu désormais obligatoire par la Commission Sportive Internationale. Comme le souligne L’Auto-Journal dans son édition du 15 mai, Jacques Chaban-Delmas y décroche le record du maire le plus rapide de France. Réélu en tout début d’après-midi, il peut rejoindre les Quinconces pour assister au départ et tenir le drapeau tricolore. A 15h05, le signal est donné par Maurice Henry et alors le vacarme assourdissant des moteurs 2 litres résonne dans tout Bordeaux.

Mal parti, Luigi Villoresi ne peut réellement profiter de sa pole position issue des essais. En grand champion, Alberto Ascari prend alors le commandement pendant que derrière lui Villoresi réussit à résister à l’attaque de Trintignant au premier freinage, et conserve la deuxième place. Pétoulet est même dépassé par Farina avant la fin de la première boucle. Derrière, de Graffenried et Fangio remontent vers les premières places. Toutefois, le pilote Suisse est rapidement ralenti par une fuite d’huile. Il faut savoir qu’il avait dû changer durant la nuit de vendredi à samedi sa boite de vitesse et le pont de sa Maserati.

Au 8ème tour, Villoresi réussit à dépasser Ascari et prend la tête. Deux tours plus tard, ils dépassent tous les deux les trois HWM et la Connaught, clairement dépassées techniquement par les Ferrari. Le rythme des leaders est incroyable. Une vitesse soutenue, sans aucun répit pour les hommes et les mécaniques. Ascari et Villoresi s’échangent le commandement à plusieurs reprises, alors que derrière eux, Farina, Trintignant, Fangio, de Graffenried, Bayol, Whitehead, Rosier, Schell… ont des positions figées. C’est une véritable course d’équipe pour la Scuderia, menée depuis les stands par Nello Ugolini. Une volonté affirmée de mettre le plus possible de pilotes à un tour, et ce le plus rapidement.

Trente secondes derrière le trio Italien, Trintignant possède une petite avance sur Fangio. L’Argentin, à la lutte avec de Graffenried, réussit à compenser grâce à sa science du pilotage sa moindre vitesse de pointe par de meilleurs passages en virages. Et alors que les premiers abandons sont à déplorer, Ascari réussit au 41ème tour à prendre un tour à Fangio. Il y a véritablement deux courses dans ce Grand Prix. Seul Trintignant peut faire le lien.

Le premier coup de théâtre se produit au 57ème tour. Bien installé à la troisième place, Nino Farina (n°6) doit s’arrêter à son stand à la suite de problèmes de boite de vitesse. Un élément décidément mis à rude épreuve sur ce tracé. L’abandon est annoncé, et la remise en état de la monoplace débute déjà pour les mécaniciens. Une course contre la montre réussie puisque, la semaine suivante, Farina remportera avec ce châssis le Grand Prix de Naples.

 

Trintignant (n°20) se retrouve donc sur le podium virtuel de la course… pour seulement cinq tours ! La Gordini s’arrête en effet au niveau de la Place de la Bourse, pont cassé. La malchance du pilote provençal déjà connue en 1951 n’est donc pas contrecarrée par la traditionnelle présence de son petit ours en peluche fétiche. Un ourson de la taille de la paume de sa main, qu’il garde accroché à sa tenue de course.

La physionomie du Grand Prix présente donc désormais deux Ferrari au commandement, suivies à un tour par Fangio sur Gordini. Peu après la mi-course, la cause semble entendue alors que Mieres, lanterne rouge retardé par des ennuis de bougies, est signalé à sept tours. Pour sa part, Louis Chiron est rappelé par les commissaires de piste. Il est exclu de l’épreuve. La raison : il a été poussé au départ de son stand au 67ème tour à la suite de son ravitaillement par deux mécaniciens, une manœuvre clairement interdite par l’article 22 du règlement. Une disqualification parfois mal comprise de certains journalistes, à l’image de Roger Couderc. La voix du rugby, envoyé spécial de L’Auto-Journal à Bordeaux, dénonce ainsi cette décision dans son compte-rendu et en profite pour mettre en avant le caractère soporifique de l’épreuve.

Sur la piste, une nouvelle boite de vitesse cède, de nouveau celle d’une Ferrari, en l’occurrence Louis Rosier (n°2) qui abandonne alors qu’il était huitième. Face à cet incident, la consigne de course de la Scuderia est clairement de figer les positions. Ascari change de rythme et gère sa mécanique, suivi de près par Villoresi.

Derrière eux, malgré son talent indéniable, Fangio semble souffrir de problèmes mécaniques sur sa Gordini et se contente également de gérer son avance sur son poursuivant. D’essayer en tout cas. Car les soupapes de son moteur montrent clairement désormais des signes de faiblesse, et de Graffenried se rapproche. Mais c’est le Suisse qui finalement abandonne au niveau du virage de la Cour-des-Aides. Revenu de loin, Bayol profite à son tour du rythme fortement ralentit de Fangio pour le doubler au 109ème tour. Installé à la troisième place, il heurte un trottoir en serrant trop un virage et se trouve victime d’une rupture de rayons sur la jante de ses roues qui le force à repasser par les stands. Il avait déjà dû changer de roue plus tôt dans la course. Grâce à cet arrêt, Fangio retrouve la place sur le podium qui lui semblait décidément promise, son nouveau poursuivant étant son coéquipier Harry Schell qui effectue les trois derniers tours uniquement avec le deuxième rapport de sa boite de vitesse. Bayol restera, lui, arrêté plus de cinq minutes, ne reprenant la piste que de justesse avant l’arrivée.

 

Les deux Ferrari franchissent la ligne d’arrivée triomphalement après avoir largement dominé l’épreuve. Tout naturellement, c’est Alberto Ascari qui l’emporte et qui renforce ainsi son statut de grand champion après son succès de Pau, avant de se diriger avec les autres pilotes vers la Mairie où se déroule dans la soirée la cérémonie de la remise des prix.

 

Très fatigué, Ascari savoure ce succès : « Ce Grand Prix de Bordeaux exige de la part des conducteurs des qualités de résistance, car tourner pendant trois heures à ce train, voilà qui éprouve durement les pilotes. Non pas que le circuit comporte des difficultés majeures, bien au contraire, mais pour ma part j’estime qu’il est un peu court. Content, je le suis, bien sûr ! » (L’Equipe, 4 mai 1953)

De son côté, Fangio est également satisfait de cette course. Il ne faut pas oublier qu’il s’agissait de son premier Grand Prix en Europe après son terrible accident le 8 juin 1952 à l’occasion du Grand Prix de l’Autodrome de Monza. Sorti de l’hôpital en septembre, il était rentré en Argentine pour achever sa rééducation et reprendre la compétition.  « Je ne me sentais pas suffisamment sûr de moi pour me lancer dans la bagarre, il m’aurait fallu une période d’entrainement plus longue pour me retrouver au volant d’une Gordini. Ce ne fut malheureusement pas le cas, car il y a moins de huit jours je ne savais pas encore que je courrais à Bordeaux. Cette troisième place que j’ai apportée à Amédée Gordini, je l’ai obtenue avec une certaine chance sans doute, mais n’est-ce pas le moment de répéter qu’il n’y a que le résultat qui compte ? » (L’Equipe, 4 mai 1953)

Une nouvelle organisation réussie pour l’ACSO et le MCB, permettant à Louis Baillot d’Estivaux de se demander quelques jours plus tard dans une tribune de l’hebdomadaire Notre Bordeaux : « Bordeaux va-t-il devenir la capitale du sport automobile ? »

ENGAGÉS ET CLASSEMENTS DES COURSES ANNEXES

MOTO 500 cm3
 
Engagés
 
1 - Jean-Pierre BAYLE (France) - Norton
2 - Georges BURGRAFF (France) - Norton
3 - Jean MURIT (France) - Norton
4 - John GRACE (Angleterre) - Norton
6 - Hans STAMM (Suisse) - Gilera
7 - Jacques PLANQUE (France) - Norton
8 - Jacques INSERMINI (France) - Matchless
9 - Roland GAUCH (France) - Norton              
10 - Georges MONNERET (France) - Gilera
15 - Georges SOUBIE (France) - Vincent HRD
16 - Nello PAGANI (Italie) - Gilera
17 - Guy MECHIN (France) - Norton
32 - GUIT (France) - Gilera

Classement
 
1. Georges MONNERET en 1h03’28’’
2. BURGRAFF, à 1’30’’
3. GUIT, à 1 tour
4. GAUCH, à 1 tour
5. PAGANI, à 1 tour
6. PLANQUE, à 2 tours
7. MECHIN, à 3 tours
 
SIDECARS
 
Engagés                                                                             
 
18 - Jean MURIT (France) - Norton              
19 - André REICHLIN (Suisse) - Norton              
20 - René BETEMPS (France) - Norton              
21 - Hendricus STEMAN (Pays-Bas) - Norton              
22 - Eddie SUMMERS (Angleterre) - Norton              
23 - Hans STAMM (Suisse) - Norton              
24 - Jacques INSERMINI (France) - Norton              
25 - Rudolph KOCH (Allemagne) - NSU                  
26 - Roland BENZ (Suisse) - Norton 
27 - Christian THEYS (France) - Norton
28 - Georges SOUBIE (France) - Vincent HRD
29 - Pierre MICHEL (France) - Norton
 
Classement (samedi)
 
1. Jean MURIT en 53’59’’5
2. BETEMPS, à 1’23’’
3. INSERMINI, à 1 tour
4. REICHLIN, à 1 tour
5. THEYS, à 1 tour
6. MICHEL, à 2 tours
7. BENZ, à 5 tours
8. SUMMERS, à 9 tours
 
Classement (dimanche)
 
1. Jean MURIT en 27’09’’8
2. BENZ, à 12’’
3. INSERMINI, à 57’’
4. MICHEL, à 1’10’’
5. THEYS, à 1 tour
6. STEMAN, à 1 tour
 
 
TOURISME
 
750 et 850 cm3
 
Engagés (tous français)                                                                             
 
2 - Henri de BRUCHARD - Dyna Panhard               
12 - Jean MOLINIE - Panhard Junior 
14 - Pierre PLISSON - Panhard Junior 
18 - Pierre JABOT - Panhard Sprint
22 - Fernand POUSSE - Panhard
24 - Robert MAZOUIN - Panhard Junior
26 - Albert COGNET - Renault
32 - Raymond RISPAL - Renault
34 - Pierre MAUREL - Dyna Panhard
36 - Edmond MENEAU - Dyna Panhard
38 - François HEBRARD - Panhard DB
40 - Georges TROUIS - Panhard DB
 
1.500 cm3
 
Engagés (tous français)                                                                                  
 
4 - Lucien BARTHE - Simca spéciale
6 - Guy CHEMIN - Simca spéciale
8 - Paul ARMAGNAC - Simca spéciale
16 - Jacques CALES - Simca spéciale
20 - René AMY - Peugeot Darl’Mat
28 - Jacques LAPAILLERIE - Simca spéciale
30 - HOURCADE - Peugeot
42 - FREDMESCH (Raoul MECHAIN) - Porsche
44 - LASSEGUE - Simca
48 - Léon GRAND - Simca
50 - Marcel LAUGA - Simca Aronde
 
Classement

1Lucien BARTHE en 45’32’’6
2. AMY, à 33’’
3. LAUGA, à 1’46’’
4. LAPAILLERIE, à 1 tour
5. HEBRARD, à 1 tour (vainqueur de la catégorie 750-850)
6. ARMAGNAC, à 1 tour
7. JABOT, à 1 tour
8. RISPAL, à 1 tour
9. HOURCADE, à 1 tour
10. MAUREL, à 2 tours
11PLISSON, à 2 tours
12GRAND, à 3 tours
13. MOLINIE, à 3 tours

ENGAGES DU GRAND PRIX

2 - Louis ROSIER (France) - Ferrari 500 - Châssis 0186 - Ecurie Rosier               
4 - Alberto ASCARI (Italie) - Ferrari 500 - Châssis 005 - Scuderia Ferrari            
6 - Nino FARINA (Italie) - Ferrari 500 - Châssis 003 - Scuderia Ferrari 
8 - Luigi VILLORESI (Italie) - Ferrari 500 - Châssis 006 - Scuderia Ferrari           
10 - Lance MACKLIN (Angleterre) - HWM 53 - Châssis 1 - HW Motors
12 - Prince B. BIRA (Thaïlande) - HWM 53 - Châssis 2 - HW Motors      
14 - Yves GIRAUD-CABANTOUS (France) - HWM 53 - Châssis 3 - HW Motors                
16 - Johnny CLAES (Belgique) - Connaught A-Type - Châssis A4 - Ecurie Belge
18 - Roberto MIERES (Argentine) - Gordini T16 - Châssis 0032 - Gordini            
20 - Maurice TRINTIGNANT (France) - Gordini T16 - Châssis 0034 - Gordini  
22 - Harry SCHELL (Etats-Unis) - Gordini T16 - Châssis 0031 - Gordini               
24 - Juan Manuel FANGIO (Argentine) - Gordini T16 - Châssis 0033 - Gordini
26 - Peter WHITEHEAD (Angleterre) - Cooper T24 - Châssis CA-1-53
28 - Emmanuel de GRAFFENRIED (Suisse) - Maserati A6GCM - Châssis 2038 - Ecurie Platé
30 - Louis CHIRON (Monaco) - Osca 20 - Châssis 02 - Osca
32 - Elie BAYOL (France) - Osca 20 - Châssis 01 - Osca

 

CLASSEMENT

 

1. Alberto Ascari en 2h 58’59", soit une moyenne de 101,340 km/h
2. Luigi Villoresi à 50"
3. Juan Manuel Fangio, à 4 tours
4. Harry Schell, à 5 tours
5. Elie Bayol, à 7 tours
6. Johnny Claes, à 8 tours
7. Prince B. Bira, à 9 tours
8. Roberto Mieres, à 10 tours

 

Pole position :

Luigi Villoresi


Meilleur tour en course :

Nino Farina en 1’24"6 (104,588 km/h)

 

Abandons
Toulo de Graffenried, pont (103ème tour)
Lance Macklin, démarreur (80ème tour)
Louis Rosier, boite de vitesses (75ème tour)
Louis Chiron, disqualifié (67ème tour)
Maurice Trintignant, demi-arbre de roue (63ème tour)
Nino Farina, boite de vitesses (57ème tour)
Yves Giraud-Cabantous, embrayage (29ème tour)
Peter Whitehead, embrayage (28ème tour)


LIENS

è Reportage de la course pour les actualités télévisées, sur le site de la Gaumont (compte obligatoirehttps://www.gaumontpathearchives.com/index.php?urlaction=doc&id_doc=30310&rang=8

è Le compte-rendu de l’épreuve dans le quotidien local Sud Ouest (compte abonné obligatoirehttps://archives.sudouest.fr/download/1-10012812

è Le compte-rendu de l’épreuve dans l’hebdomadaire local L’Athlète : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4560699v/f1.image

è Le compte-rendu de l’épreuve dans le quotidien national L’Équipe : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t5100946m/f2.item 

-> Le compte-rendu de l’épreuve dans le mensuel britannique Motorsport (compte abonné obligatoire) : https://www.motorsportmagazine.com/archive/article/june-1953/42/grand-prix-de-bordeaux-2/

è Photo du départ, disponible auprès de La Mémoire de Bordeaux Métropole : https://www.memoirefilmiquenouvelleaquitaine.fr/photos/depart-du-grand-prix-automobile-de-bordeaux

-> Photo prise durant les essais de la Ferrari d’Alberto Ascari observé de près par le motard Georges Monneret, issue des archives de Sud Ouest : https://media.sudouest.fr/4744175/1000x625/so-5ccaee9e66a4bdbb645ac1f8-ph0.jpg

è Photo de la Ferrari de Nino Farina, issue des archives de Sud Ouest : https://media.sudouest.fr/2313126/1000x625/grand-prix-automobile1.jpg

è Photo du montage des tribunes en amont du Grand Prix, issue des archives de Sud Ouest : https://media.sudouest.fr/4744175/1000x625/so-5ccaec5c66a4bd8a675ac1f5-ph0.jpg

Page créée en mai 2025 // dernière mise à jour en mai 2025