LE GRAND PRIX DE BORDEAUX DU 29 AVRIL 1951 SUR LE CIRCUIT DES QUINCONCES
 |
Affiche du GP 1951 - archives ACSO |
S’appuyant sur le succès du Grand Prix de Formule 2 de Lesparre, l’ACSO décide que Bordeaux se doit de revenir au premier plan avec un Grand Prix. Pour les équipes de l’ACSO et le président Louis Baillot d’Estivaux, cette course de Lesparre était en effet une véritable répétition grandeur nature pour une épreuve beaucoup plus importante ! En parallèle de la demande de collaboration du Moto-Club du Médoc, le président Baillot d’Estivaux avait évoqué le 21 septembre 1949 le projet d’un Grand Prix de Bordeaux sur un circuit tracé sur la place des Quinconces ! Le 27 mars 1950, le bureau est informé de la visite du président Baillot d’Estivaux sur le site envisagé d’un Grand Prix de Bordeaux, place des Quinconces, en compagnie de représentants du ministère de l’Intérieur et de la Préfecture. Cette visite semble avoir été positive et le projet reste d’actualité. Associé à ce projet pour créer une véritable fête des sports mécaniques sur un tracé unique au cœur de la ville, le Moto-Club de Bordeaux travaille avec l’ACSO pour en préparer les moindres détails.
Après Georges Sarthou, se sont notamment succédés Paul Wright et Norbert Falque au fil des ans à la tête du MCB. André Brunetière en devient à son tour le président en 1950 et relève donc ce challenge.
LA PREPARATION
Le programme du concours d’élégance du 27 juin 1950 est l’occasion pour le président Baillot d’Estivaux de présenter le projet au grand public avec deux pages titrées « Bordeaux doit avoir en 1951 son Grand Prix automobile ». Il y précise les attraits techniques et touristiques de l’épreuve, mettant en avant l’agrément obtenu du ministère de l’Intérieur, l’implication active du préfet Pierre Combes et l’adhésion totale de Jacques Chaban-Delmas avant d’ajouter que « le Port Autonome, la Chambre de commerce, le syndicat d’initiative suivent, d’un œil bienveillant les efforts de l’Automobile Club du Sud-Ouest [et] la chambre syndicale de l’hôtellerie s’y ralliera à n’en pas douter, ses intérêts sont directement en cause ».
L’ACSO décide lors de la réunion de son bureau du 19 septembre 1950 de confirmer l’organisation du Grand Prix de Bordeaux de Formule 1, avec en complément un plateau moto géré par le MCB. Il est décidé que c'est le secrétaire général de l'ACSO, Georges Sarthou, qui va se rendre à l’ACF pour l’inscription au calendrier 1951 de cette épreuve associant ces deux Clubs, de préférence à la date du 6 mai. Le tracé de la future course est dessiné autour de la place des Quinconces, de son Esplanade et sur les Quais contigus. Regroupant Louis Baillot d’Estivaux, d’autres membres de l’ACSO et des officiels de la mairie, une inspection est ainsi menée par une quarantaine de personnes, plans en mains, sur l’ensemble du circuit le 10 novembre 1950. Parmi celles-ci figure Albert Divo, qui représente la commission sportive de l’ACF qui approuve le principe de l’épreuve le 24 novembre dans leurs locaux de la place de la Concorde à Paris.
 |
Plan du circuit du GP 1951 - archives ACSO |
Le tracé présente un développement de 2,457 kilomètres, avec cinq virages et une ligne droite de 944,817 mètres le long des hangars. 123 tours à réaliser dans le sens des aiguilles d’une montre sont prévus pour atteindre les 300 kilomètres réglementaires d’un Grand Prix de Formule 1. Après un départ sur les Quais, à la hauteur du Hangar 7, les concurrents vont se diriger en bordure de la Garonne en direction du Pont de Pierre. Au niveau de la rue de la Cour des Aides, un virage en épingle les accueille pour les faire revenir vers la Place des Quinconces en longeant les façades des immeubles du XVIIIème siècle. Tournant à gauche, les pilotes pénètrent sur la première Allée charretière avant de négocier la nouvelle voie créée pour l’occasion. Tournant ainsi autour du Monument érigé à la gloire des Girondins (les députés de la Révolution), ils négocient ensuite la deuxième Allée charretière avant de retrouver les Quais. Cette section-là est assez courte avant d’aborder un virage au rayon beaucoup plus large face à la Bourse Maritime. Il reste alors à remettre les gaz pour revenir vers les Colonnes Rostrales et repartir pour un nouveau tour.
Concernant la date, celle-ci est fixée par l’ACF le 12 décembre et c’est le dimanche 29 avril 1951 qui est réservé à l’épreuve bordelaise. Dès lors le président Baillot d’Estivaux peut annoncer fièrement le 19 décembre 1950, lors du dîner mensuel de l’Automobile Club, la naissance du Grand Prix de Bordeaux de Formule 1 sur les Quinconces ! Jacques Chaban-Delmas complète lors de ce repas qu’après le festival international de musique, « le Grand Prix automobile de la Ville de Bordeaux sera un second fleuron à la couronne municipale » (Sud Ouest, 21 décembre 1950).
Situé dans un décor majestueux, le circuit permet de contrôler tous les points d’accès des spectateurs. L’accueil du public est ainsi organisé autour de la Place et sur les terrasses situées au-dessus des hangars de déchargement de marchandises des Quais. De plus, les infrastructures seront communes avec celles de la Foire Internationale qui doit se dérouler au même endroit quelques semaines plus tard. Enfin, la Commission Sportive Internationale décide le 17 février 1951 d’accorder, fait exceptionnel pour une nouvelle course, le statut d’épreuve internationale, notamment grâce aux efforts du député Jean-Raymond Guyon.
Début avril 1951, le comité d’organisation est pleinement opérationnel. Il est composé du président de l’ACSO Louis Baillot d’Estivaux, du secrétaire général Georges Sarthou, du président du MCB André Brunetière, ainsi que de Paul Chauveau, Norbert Falque, René Gaillard, Roger Vieu, Albert Benestebe, Mathieu Chrestien de Lihus, Paul Bou, Henri Labarthe-Pon, René Labbe, Yves Martin, Georges Touya et Marcel Dumail.
Toute la ville de Bordeaux est en effervescence à l’approche de ce week-end des 28 et 29 avril 1951. En même temps que les derniers préparatifs du Festival International de musique, les dernières installations propres à l’organisation du Grand Prix de Bordeaux sont mises en place tout comme les nombreuses vitrines décorées dans les commerces à la gloire de l’épreuve. Quant à la billetterie, elle est mise en service dès le 11 avril dans les locaux de l’ACSO et du MCB. De 100 francs l’entrée pour les premiers essais du vendredi 27 avril, les prix montent pour le samedi de 100 à 800 francs, selon que l’on souhaite assister en tribune aux essais des monoplaces ou aux courses des motos. Pour le Grand Prix, une place derrière les grilles du Port autonome coute 200 francs, une entrée pour assister à la course depuis les pelouses de 300 à 500 francs, un emplacement sur les terrasses des hangars vaut 800 francs alors qu’un siège en tribune peut monter de 1.000 à 2.000 francs face à la ligne d’arrivée.
L’équipe de l’ACSO a mené un véritable travail de promotion fin 1950 et durant le printemps 1951 pour attirer des pilotes de renoms et des écuries prestigieuses. De nombreux déplacements sur les circuits permettent d’enregistrer la quinzaine d’engagements, maximum autorisé compte tenu de la longueur du circuit. Il s’agit d’une réussite pour une première, d’autant que le calendrier s’est compliqué par le fait que la date choisie correspond à celle des Mille Miglia, une course par étape de ville à ville se disputant en Italie et connaissant un véritable engouement (428 concurrents au départ !).
Dans les colonnes du quotidien Sud Ouest, partenaire actif de l’évènement, les engagements des pilotes sont annoncés officiellement, ou plutôt sont distillés chaque jour selon une méthode que ne pourrait renier les plus grands communicants actuels. Chaque pilote est alors présenté aux lecteurs, avec moult détails sur son palmarès et ses récents exploits en piste. La première annonce concerne le « Brelan d’As » de l’écurie Gordini : Trintignant, Manzon et Simon. Ce choix n’est pas anodin, Amédée Gordini ayant lui-même annoncé à l’ACSO, concernant la mise au point de ses monoplaces : « Je ne sais pas si je serais complètement prêt pour Pau, je ferais tout pour cela. Mais j’ai la certitude de l’être pour Bordeaux ! » (Sud Ouest, 16 avril 1951) Pour tenir sa parole, il modifie ses monoplaces pour les remettre en configuration 1950 afin de privilégier la fiabilité.
L’un des tout premiers engagements à avoir été reçu reste toutefois celui de Louis Rosier. Le champion de France 1949 et 1950 a en effet confirmé sa participation dès le 24 janvier, lors de son passage à Bordeaux durant le parcours de concentration du rallye Monte-Carlo ! Rosier engage finalement une deuxième voiture, à la suite des rachats de monoplaces effectués en début d’année dans le cadre de la dissolution par Anthony Lago du service compétition de Talbot. Concernant le premier Champion du monde de Formule 1 de l’histoire, Nino Farina, son accord a été négocié par Louis Baillot d’Estivaux fin mars durant le Grand Prix de Pau.
Une semaine avant la course, le gros œuvre est en place, grâce aux efforts des services de la Mairie, et les ornements sont installés par le Syndicat d’Initiative. Dès lors, chaque soir, les amateurs et apprentis-pilotes Bordelais prennent le volant de leur voiture ou le guidon de leur moto pour réaliser un tour (ou plus) du circuit et ainsi s’imaginer au milieu de tous ces grands pilotes qui vont participer. Certains, même, effectuent du haut de leurs 12 ans ce parcours sur un vélo, tel Yves Baillot d’Estivaux, le fils cadet du Président de l’ACSO qui s’élance depuis la résidence familiale située au centre de l’Hémicycle !
Les pilotes, accompagnés des camions chargés de leurs montures et des mécaniciens, arrivent naturellement dans les jours précédant la course. Les motards arrivent le jeudi soir ou pour les derniers le vendredi matin. Farina a directement appelé l’ACSO pour prévenir de son arrivée dans l’après-midi du jeudi. Le camion Panhard de l’Ecurie Rosier arrive lui le jeudi soir de Clermont-Ferrand, presque en ligne droite de San Remo où Rosier et Louveau ont couru le 22 avril. Dans un rôle de remplaçant éventuel, le Belge Guy Mairesse est présent à Bordeaux, prêt à bondir si besoin est, au volant d’une deuxième Talbot emmenée par Yves Giraud-Cabantous. Autre réserviste, l’Anglais Lance Macklin dispose d’une HWM engagée trop tardivement. Mais c’est bien lui qui a la chance de remplacer en dernière minute le Suisse Branca, initialement inscrit sur une Maserati.
Pour sceller les participations, l’ACSO verse des acomptes sur les primes de départ négociées de gré à gré. Si un acompte de 30.000 francs est alloué à de Graffenried, Louis Chiron reçoit lui une avance de 300.000 francs la veille de la course. Le pilote Monégasque est le dernier engagé pour la course. Il est d’ailleurs identifié comme « X » dans le programme officiel, une précision comparable à celle octroyée par Jean Graton au Pilote sans visage quelques années plus tard dans l’album des aventures de Michel Vaillant ! Il convient de noter que, en dehors de Farina, l’Italie sera totalement absente de la course. Si l’absence officielle de la Scuderia Ferrari était connue à l’avance du fait de la volonté d’Enzo Ferrari d’impliquer totalement son équipe dans les Mille Miglia, les pilotes motos transalpins manquent également à l’appel à cause d’une course comptant pour leur championnat national.
Le meeting Bordelais des sports mécaniques peut être lancé !
L’implantation en centre-ville favorise le contact entre le public et les concurrents présents dans le luxueux Hôtel Splendid voisin de la Place des Quinconces. Ce rapprochement est également valable pour les machines, généralement visibles dans les garages de la ville. Ainsi, les Talbot sont stationnées Quai des Chartrons, à proximité immédiate du circuit. L’enthousiasme est tel que certaines dérives font leurs apparitions. A la veille de l’épreuve, des alertes mettent ainsi en garde les spectateurs potentiels contre la vente de faux billets et la revente à la sauvette, preuves indirectes de l’engouement pour l’épreuve. Alors que les nombreux néophytes et curieux peuvent eux s’initier aux différents drapeaux qui pourront être brandis durant la course.
Les premiers tours de roues officiels ont lieu le vendredi 27 avril, à partir de 18h30. Cet horaire a été volontairement choisi pour permettre aux Bordelais d’y assister en quittant leur travail. Un choix judicieux puisque 20.000 spectateurs accourent pour admirer les machines et leurs « dompteurs », entendre vrombir les mécaniques et sentir l’odeur si caractéristique de l’huile de ricin. Durant deux heures, les pilotes auto et moto découvrent la réalité du tracé. Le circuit est jugé sélectif par tous les concurrents dès ces premiers essais. Ils estiment que leurs mécaniques peuvent souffrir, notamment les freins et les boites de vitesses du fait de la configuration du tracé qui nécessitent de gros freinages et de nombreux changements de rythme propre à sa forme, telle une punaise posée sur la Garonne.
A tout seigneur tout honneur, c’est Farina qui réalise le meilleur temps de cette première séance, en 1’30’’8, mais à une moyenne relativement basse de 97,448 km/h. Derrière lui suivent de Graffenried, Manzon et Simon, ce dernier pilotant le châssis victorieux l’année précédente à Lesparre. De son côté, Maurice Trintignant n’a pas participé à cette séance et n’arrive à Bordeaux que le samedi matin.
LES COURSES ANNEXES
Aux montres des officiels, il est 14 heures en ce samedi 28 avril. Pour Pierre Fragnaud, le Directeur de Course des épreuves moto, il est temps de lancer la première course du programme, celle des 175cm3. Initialement engagé dans cette course et dans celle des 500cm3, Jean Behra est finalement forfait. Dans les tribunes, un public moins nombreux qu’envisagé est venu, les absents ayant été certainement refroidis par le violent vent du nord qui frappe les Quais. Le premier départ est finalement donné à 14h39, et très rapidement le Suisse Josef Albisser installe sa Puch au commandement. S’il remporte assez facilement l’épreuve, la lutte pour la deuxième place est intense, un sprint final permettant à la MV Agusta de Georges Burgraff de devancer de justesse Gaston Gaury.
Quelques minutes plus tard, les 350cm3 s’élancent à leur tour. Favori attendu, l’Anglais Tommy Wood manque son départ malgré sa pole position obtenue aux essais. Alors que le Suisse Werner Gerber prend la tête, Wood réussit rapidement à remonter sur le podium virtuel et grappille son retard seconde après seconde. A mi-course, 20 secondes séparent les deux hommes, Georges Monneret étant lui distancé de 50 secondes. Si ce dernier subit une casse mécanique, Gerber contrôle sa course et les autres concurrents. Il signe le deuxième succès Helvète de la journée, précédant Wood au terme des 40 tours de course.
Troisième et dernière catégorie, celle des grosses cylindrées, les 500cm3. Quinze motards doivent effectuer 125 kilomètres de course, soit 50 tours. Revanchards, Wood et Monneret prennent immédiatement la tête, mais ils sont tous les deux dépassés au 14ème tour par un Gerber décidément en grande forme. Les trois hommes régalent alors le public et changent continuellement de position dans une course sans retenue. Au fil des tours, la lutte devient un duel entre les deux Norton de Wood et Monneret et leur affrontement fait se soulever la foule à chaque passage.
Alors qu’il avait réussi à se constituer une avance de près de dix secondes, Monneret perd de son avance dans les tous derniers tours et Wood reprend la tête à quatre boucles de l’arrivée. Talonné par le Français, c’est bien le pilote Anglais qui remporte cette superbe course.
LE GRAND PRIX
Après les courses des motos, le début de soirée accueille la deuxième séance d’essais des monoplaces et permet de déterminer la grille de départ de la course. A ce jeu, Louis Rosier se révèle le plus adroit et surtout le plus rapide devant Trintignant et Schell, alors que Farina rencontre de nombreux problèmes avec son compresseur qui le repoussent en fond de grille.
La météo changeante renforce les craintes éventuelles des pilotes alors que se déroule la matinée de ce dimanche 29 avril. Le départ est d’ailleurs retardé, le temps de laisser passer un abat-d’eau. Et à 14h50, sous un ciel restant incertain, le signal est donné par le Directeur de Course Maurice Henry. Les monoplaces effectuent un tour de chauffe puis viennent se positionner sur la grille de départ. Sous les ordres du speaker officiel, Georges Fraichard, une minute de silence est demandée en hommage aux grands champions disparus que sont Robert Benoist, Jean-Pierre Wimille et Raymond Sommer.
A 15 heures, Jacques Chaban-Delmas peut abaisser le drapeau tricolore et donner le départ. Le circuit des Quinconces entre dans l’histoire !
La Ferrari privée de Rudolph Fischer réussit le meilleur envol sur la piste humide et dépasse Rosier alors que Maurice Trintignant cale et reste planté sur la grille de départ ! Depuis l’arrière, déterminé à remonter, Farina, lui, fait les extérieurs et lorsque la piste devient provisoirement dégagée, les mécaniciens de l’équipe Gordini se précipitent vers la monoplace immobile du pilote provençal. Avec le chariot à batterie et le lanceur, ils réussissent à réanimer le moteur. Trintignant s’élance alors sur une piste dégagée pour étrenner son casque, équipé d’une large visière ronde au lieu des traditionnelles lunettes, afin de mieux évacuer la pluie.
En début de course, le leader reste le Suisse Fischer. Il dispose d’un modèle en configuration Formule 2, plus léger et plus petit, acheté en début de saison. Derrière lui se trouve déjà la Maserati de Nino Farina ! Les craintes de certains sur la résistance des machines se concrétisent de manière très précoce, un abandon étant à déplorer dès le premier tour ! Victime d’une rupture de l’axe du pont arrière de sa Maserati, Toulo de Graffenried quitte ainsi la course les larmes aux yeux, lui qui se voyait favori de l’épreuve. Un nouvel abandon pour la monoplace de l’Ecurie Platé devenue obsolète, une structure fondée sur les bases d’une relation amicale profonde entre de Graffenried et Enrico Platé, spécialiste Maserati. Devant, trois pilotes se détachent rapidement. Au duo Fischer – Farina se joint en effet Louis Rosier sur une Talbot engagée par sa propre écurie. A l’arrière de la course, Macklin doit rentrer deux fois aux stands pour changer les bougies de son HWM dans les vingt premiers tours. La course est un véritable calvaire pour le pilote HWM. Son coéquipier, Louis Chiron, est un peu plus chanceux.
Trois voitures différentes se retrouvent donc à la lutte, offrant un superbe spectacle aux spectateurs. Après avoir récupéré la première place au 17ème tour, Farina doit laisser ses compagnons en découdre à partir du 30ème tour et s’arrête à son stand pour régler le compresseur de sa Maserati. Au 40ème tour, Fischer est toujours en tête avec 10 secondes d’avance sur Rosier et 55 secondes sur Farina. Si Whitehead est 4ème à plus d’une minute sur sa Ferrari ex-usine 1949 personnelle achetée en début d’année, tous les autres pilotes concèdent déjà au minimum un tour de retard, preuve du rythme élevé du trio de tête. Il s’agit dans l’ordre de Giraud-Cabantous, Trintignant, Manzon, Bira, Chiron…
La pluie ayant cessée, le spectacle en devient encore plus sublime, même si la notion de grand soleil reste relative au grand désarroi des quelques marchands de glace. Après avoir repris plusieurs secondes à chaque tour, puis être revenu à son contact au 70ème tour, Louis Rosier (n°14) harcèle désormais Fischer (n°22).
Plus en retrait, Maurice Trintignant est arrêté à son stand par son équipe juste avant le 100ème tour. En effet, Robert Manzon vient de connaitre des ennuis de bougies, son moteur ne tournait plus que sur trois cylindres avant de subir la casse du joint de culasse. Il est décidé de procéder au remplacement des bougies et de faire un réglage sur les freins de « Pétoulet », qui perd deux places dans l’opération et reprend la piste à la sixième place.
La Talbot de Rosier, ornée du numéro 14, franchit la ligne d’arrivée au terme des 123 tours après trois heures et sept minutes de course, lui permettant de conserver une minute d’avance sur son rival. Cette victoire peut en partie être attribuée… à son fils ! Loin de l’aventure légendaire des 24 Heures du Mans 1950, il s’agit d’un dépannage longue distance. La magnéto de la Talbot était en panne après les essais du vendredi. Dès lors, prévenu, le fils de Louis Rosier prend la route. Depuis Paris où il se trouve, il se dirige vers le garage familial de Clermont-Ferrand. Il y récupère une nouvelle pièce. Puis reprend la route vers Bordeaux, rallié en temps et en heure pour les essais officiels du samedi. La suite est déjà connue : meilleur temps des essais, victoire en course et record du tour à plus de 100 km/h !
Ce dépannage hors norme fait écho à une aventure qui a sauvé la course Bordelaise du motard Tommy Wood. Mais cette fois, c’est le pilote Anglais lui-même qui dans la foulée des essais peu satisfaisant du vendredi, réussit à prendre un vol pour Londres, récupérer des pièces de rechange et revenir à Bordeaux pour prendre le départ et remporter la course des 500cm3 !
Est-ce la méthode pour gagner à Bordeaux ?
Sur la piste, le spectacle aura été total jusqu’au bout, à l’image de Maurice Trintignant. Décidément malchanceux, sans tenir compte de problèmes intestinaux qui le fatiguent, il est contraint pour être classé de franchir la ligne d’arrivée en poussant sa Simca-Gordini en panne de boite de vitesse. Porté par les encouragements de 60.000 spectateurs, il parvient à récupérer la cinquième place finale. La précision du nombre de spectateurs officiels est importante, car elle ne tient pas compte des nombreux Bordelais qui assistent à l’épreuve depuis les fenêtres et les balcons des immeubles, voire depuis les toits de ceux-ci pour certains ! Il y a même des petits malins qui observent à la jumelle le virage de l’Hémicycle depuis le péristyle surélevé du Grand Théâtre ! Huit pilotes passent sous le drapeau à damier, alors qu’à plusieurs milliers de kilomètres de là, dans l’Etat de Caroline du Nord, la future légende de la NASCAR Dale Earnhardt voit le jour…
Premier lauréat du Grand Prix de Bordeaux, le Français Louis Rosier explique à René Labbe, journaliste à Sud Ouest et conseiller sportif de l’épreuve, que sa course s’est déroulée comme prévu : « Quand j’ai vu Farina et de Graffenried éliminés, les Simca-Gordini hors course, j’ai songé à réaliser intégralement mon plan d’attaque, attendre puis agir. Je l’ai observé à la lettre. » (Sud Ouest, 30 avril 1951) Concernant le tracé proprement dit et l’accueil reçu à Bordeaux, il ne tarit pas d’éloges sur ces sujets : « Le circuit est beaucoup plus dur qu’il ne parait de prime abord. Les virages sont méchants. Mais quelle splendeur et quelle beauté ! Avec le soleil, ce doit être extraordinaire (…) Jamais je n’ai trouvé accueil aussi délicat, aussi amical, aussi chaleureux que celui que nous avons reçu à l’ACSO. Mes camarades m’ont demandé d’être leur interprète pour féliciter et remercier le grand club Bordelais. Bordeaux sait faire grandement les choses. Mes camarades et moi reviendrons tous avec plaisir ! » (Sud Ouest, 30 avril 1951)
Après la remise des prix à la Mairie, une soirée de gala est organisée dans les salons de l’Hôtel Splendid, avec un dîner dansant au son des orchestres de Georges Boueil. Louis Rosier est la grande vedette de la soirée et reçoit la Coupe de la Ville de Bordeaux, la Coupe de Sud Ouest (toutes deux offertes au vainqueur), la Coupe du Syndicat du Centre de Bordeaux (les commerçants du centre-ville – offerte au premier Français), la Coupe Saint-Raphaël (offerte pour le record du tour) ainsi qu’une Ford Vedette dernier modèle ! De plus, il bénéficie de multiples primes de résultats, la principale somme provenant des 300.000 francs attribués au vainqueur du Grand Prix. Récipiendaire de la Coupe du Syndicat d’Initiatives grâce à sa seconde place, Rudi Fischer reçoit également les éloges de M. Alfred-Georges Berthod, le Consul de Suisse à Bordeaux. Présent dans la tribune officielle, ce dernier a eu de quoi se réjouir de ces journées en tenant également compte des succès Helvètes à moto. Il convient de préciser de plus que l’Ecurie Espadon (ou Scuderia en honneur aux Ferrari engagées) gérée par Rudi Fischer est une structure privée Suisse. Quelques semaines plus tard, le 10 juin 1951, Fischer triomphera avec le même châssis Ferrari à Angoulême, à l’occasion du Circuit des Remparts.
Titre principal de Sud Ouest, avec une superbe photo du départ sur l’ensemble de la une du quotidien, le résultat du Grand Prix de Bordeaux est également annoncé à la une de L’Equipe du lundi 30 avril. Le quotidien sportif avait déjà présenté l’épreuve lors de son édition du samedi 28 avril. La course est également en bonne place dans le mensuel L’Action Automobile et Touristique et son supplément Moteurs.
L’ensemble de ce premier Grand Prix international de vitesse de Bordeaux est une réussite sur tous les tableaux, principalement grâce à l’enthousiasme et à la volonté d’un véritable groupe d’amis organisés autour de Louis Baillot d’Estivaux et Georges Sarthou. Illustration parfaite, Farina assure que « cet enthousiasme contagieux d’un groupe de sportifs a réalisé un miracle, car c’est un miracle pour une première année, d’avoir bâti et aménagé ce circuit d’aussi grande manière. » (Sud Ouest, 3 mai 1951).
Certains détails restent à améliorer, mais cela est négligeable à la vue de tout ce qui a pu être accompli. Signe de la volonté d’asseoir la crédibilité de l’épreuve, la Commission Sportive de l’ACSO décide de réduire les primes de départ de certains pilotes jugés trop dilettantes, ou aux monoplaces trop insuffisamment préparées. Du point de vue du public, l’absence de tableau d’affichage pour suivre l’évolution de la course est dommageable, même si les commentaires de Georges Fraichard ont pu les tenir informer et en haleine, lequel était secondé dans les stands par J-M Landureau. La diffusion des informations aux officiels et à la presse était d’ailleurs assurée par la mise en place de 16 postes de radio de l’armée tout au long du circuit.
Le succès sportif, populaire mais aussi financier est au rendez-vous, pour le plus grand soulagement de l’ACSO et de son bureau. Pour symboliser cette réussite financière, 150.000 francs sont reversés au Centre régional de lutte contre le cancer le 23 juin à l’occasion d’une cérémonie.
ENGAGÉS ET CLASSEMENTS DES COURSES ANNEXES
MOTO 175 cm3
Engagés
2 - Edgar SIGALA (France) - Jonghi
4 - Jacques VAQUE (France) - MV Agusta
6 - Claude SOULET (France) - MV Agusta
12 - Georges BURGRAFF (France) - MV Agusta
14 - Jacques METIVIER (France) - Terrot
16 - Pierre ROUX (France) - Puch
18 - René BETEMPS (France) - Terrot
20 - Pierre MATEOS (France) - Puch
22 - Hans HALDEMANN (Suisse) - Puch
24 - VIZADE (France) - Morini
26 - Gaston GAURY (France) - Morini
28 - Josef ALBISSER (Suisse) - Puch
30 - Max REAU (France) - Ardie
32 - SUTRA (France) - Puch
Classement
1. Josef ALBISSER en 57’23”
2. BURGRAFF
3. GAURY
4. SOULET
5. VAQUE
6. SUTRA
7. METIVIER
8. REAU
9. VIZADE
10. ROUX
11. MATHEOS
12. BETEMPS
Meilleur tour en course:
Josef ALBISSER en 1’52"8 (78,441 km/h)
MOTO 350 cm3
Engagés
34 - Georges HOUEL (France) - Velocette
36 - Tommy WOOD (Angleterre) - Velocette
38 - Bill BEEVERS (Angleterre) - A.J.S.
40 - Duilio MEDOLAGO (Suisse) - Velocette
42 - Fernando ARANDA (Espagne) - Moto-Guzzi
44 - Radames BIANCHI (Suisse) - Moto-Guzzi
46 - Jacques COLLOT (France) - Velocette
48 - Jacques BOURGEOIS (France) - Velocette
50 - Georges MONNERET (France) - Velocette
52 - César LEPINE (France) - Velocette
54 - Toto MARNAY (France) - Velocette
56 - Hans HALDEMANN (Suisse) - Norton
58 - Josef ALBISSER (Suisse) - A.J.S.
60 - Werner GERBER (Suisse) - A.J.S.
62 - Hans STAMM (Suisse) - Velocette
64 - Roland GAUCH (France) - Velocette
66 - Leslie HARRIS (Angleterre) - Velocette
68 - Gustave LEFEVRE (France) - Norton
70 - Bil PETCH (Angleterre) - A.J.S.
102 - Léon MARTIN (Belgique) - Velocette
Classement
1. Werner GERBER en 1h04’4”
2. WOOD
3. PETCH
4. ARANDA
5. COLLOT
6. HALDEMANN
7. STAMM
8. BOURGEOIS
9. HOUEL
10. MEDOLAGO
11. MONNERET
12. LEPINE
13. HARRIS
Meilleur tour en course:
Werner GERBER en 1’34"2 (93,438 km/h)
MOTO 500 cm3
Engagés
72 - Georges HOUEL (France) - Gilera
74 - Tommy WOOD (Angleterre) - Norton
76 - Fernando ARANDA (Espagne) - Moto-Guzzi
78 - Georges MONNERET (France) - Norton
80 - Jacques COLLOT (France) - Gilera
82 - André NAUDON (France) - Velocette
84 - René BETEMPS (France) - Triumph
86 - Bob MATTHEWS (Irlande) - Norton
88 - René GUERIN (France) - Velocette
90 - Hans HALDEMANN (Suisse) - Norton
92 - Leslie HARRIS (Angleterre) - Norton
94 - Hans STAMM (Suisse) - Norton
96 - Gustave LEFEVRE (France) - Norton
98 - Josef ALBISSER (Suisse) - A.J.S.
100 - Louis BERNARD (France) - Gilera
Classement
1. Tommy WOOD en 1h18’46”
2. MONNERET
3. GERBER
4. HARRIS
5. ARANDA
6. HALDEMANN
7. LEFEVRE
8. NAUDON
9. BERNARD
10. GUERIN
Meilleur tour en course:
Tommy WOOD en 1’31" (97,232 km/h)
2 - Nino FARINA (Italie) - Maserati 4CLT - Châssis 1609 - Farina
4 - Maurice TRINTIGNANT (France) - Simca - Gordini T15 - Châssis 0012 - Gordini
6 - Robert MANZON (France) - Simca – Gordini T15 - Châssis 0014 - Gordini
8 - André SIMON (France) - Simca – Gordini T15 - Châssis 0011 - Gordini
10 - Emmanuel de GRAFFENRIED (Suisse) - Maserati 4CLT - Châssis 1601 - Ecurie Platé
12 - Harry SCHELL (Etats-Unis) - Maserati 4CLT - Châssis 1598 - Ecurie Platé
14 - Louis ROSIER (France) - Talbot T26C - Châssis 110053 - Ecurie Rosier
16 - Henri LOUVEAU (France) - Talbot T26C - Châssis 110055 - Ecurie Rosier
18 - Yves GIRAUD-CABANTOUS (France) - Talbot T26C - Châssis 110009 - Giraud-Cabantous
20 - Lance MACKLIN (Angleterre) - HWM 51- Châssis 2 - HW Motors
22 - Rudolf FISCHER (Suisse) - Ferrari 212 - Châssis 110 - Scuderia Espadon
24 - Peter STAECHELIN (Suisse) - Ferrari 166 - Châssis 06C - Scuderia Espadon
26 - Peter WHITEHEAD (Angleterre) - Ferrari 125 - Châssis 114 - A G Whitehead
28 - Prince B. BIRA (Thaïlande) - Maserati 4CLT - Châssis 1607 - Ecurie Siam
30 - Louis CHIRON (Monaco) - HWM 51 - Châssis 3 - HW Motors
1. Louis Rosier en 3h 07’11"3, soit une moyenne de 96,900 km/h
2. Rudolf Fischer, à 1’09"
3. Peter Whitehead, à 2 tours
4. Prince B. Bira, à 3 tours
5. Maurice Trintignant, à 6 tours
6. Henri Louveau, à 7 tours
7. Louis Chiron, à 9 tours
8. Peter Staechelin, à 17 tours
Pole-position :
Louis Rosier
Meilleur tour en course :
Louis Rosier en 1’28"1 (100,433 km/h)
Abandons
André Simon, pompe à essence (76ème tour)
Yves Giraud-Cabantous, boite de vitesses (58ème tour)
Lance Macklin, carburateur
Nino Farina, compresseur (46ème tour)
Robert Manzon, joint de culasse (46ème tour)
Harry Schell (1er tour)
Toulo de Graffenried, axe du pont (1er tour)
LIENS
è Reportage de la course pour les actualités télévisées, sur le site de l’INA : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/afe85004041/grand-prix-automobile-de-bordeaux
è Reportage de la course pour les actualités télévisées, sur le site de la Gaumont (compte obligatoire) : https://www.gaumontpathearchives.com/index.php?urlaction=doc&id_doc=28755&rang=4
è Le compte-rendu de l’épreuve dans le quotidien local Sud Ouest (compte abonné obligatoire) : https://archives.sudouest.fr/download/1-9989707
è Le compte-rendu de l’épreuve dans l’hebdomadaire local L’Athlète : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4560594f/f1.item
è Le compte-rendu de l’épreuve dans le quotidien national L’Équipe : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t5101699t/f2.item
-> Photo du comité d’organisation : https://media.sudouest.fr/1627715/1200x-1/so-5fe32ec666a4bde97b392e60-ph0.jpg
-> Peu avant le départ, la grille est formée sur les quais avec les différents monoplaces, alors que le drapeau de l’ACSO, accroché sur une des colonnes rostrales, flotte sur le circuit. Photographie issue des archives de l’ACSO : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=3432827370104369&id=1153559111364551
è Photo du départ, issue des archives de Sud Ouest : https://media.sudouest.fr/2118225/1200x-1/51-depart.jpg
è Photo prise durant le GP avec les quais et le pont de pierre en arrière-plan, issue des archives de Sud Ouest. Sur le cliché, la Talbot de Louis Rosier mène la course et se rapproche du virage en épingle de la Douane, alors que l’Osca de Bira et la Ferrari de Staechelin viennent de négocier ce passage délicat et reviennent vers les Quinconces : https://media.sudouest.fr/2118225/1200x-1/51-quais.jpg
è Photo prise durant le GP, issue des archives de Sud Ouest. Sur le cliché, Peter Staechelin (Ferrari n°24) se fait prendre un tour par la Talbot (n°16) d’Henri Louveau, alors que surgit l’OSCA (n°28) du Prince Bira qui les doublera tous les deux pour finir 4e : https://media.sudouest.fr/2313126/1000x625/grand-prix-de-bordeaux.jpg
-> Photo de Maurice Trintignant, issue des archives de Sud Ouest, en action au volant de sa Gordini : https://media.sudouest.fr/2118225/1200x-1/51-trintignant.jpg
è Photo de la remise des prix, issue des archives de Sud Ouest. Sur le cliché, le maire Jacques Chaban-Delmas (au centre) prononce son discours, mains croisées. Il a à sa droite le vainqueur Louis Rosier, l’italien Nino Farina et le suisse Rudi Fischer, et à sa gauche le président de l’ACSO Louis Baillot d’Estivaux, feuille des résultats en mains : https://media.sudouest.fr/2313126/1000x625/la-remise-des-prix-en.jpg
è Article sur le Grand Prix 1951, publié dans le numéro 91 de la revue Empreintes éditée par La Mémoire de Bordeaux Métropole : https://www.calameo.com/read/0062055457fc7e330e18e
Page créée en mai 2025 // dernière mise à jour en mai 2025